La crise sanitaire COVID-19 est sans précédent. Son empreinte et son impact seront longs et étendus, et le secteur des voyages d'affaires a été l'une de ses premières et plus difficiles victimes. Il est important de discuter des répercussions de la pandémie - économiques, écologiques et commerciales - sur cette industrie de 1 500 milliards de dollars.
Quel sera l'impact des déplacements professionnels à court, moyen et long terme ? Voici notre analyse.
Court et moyen terme (2021) : Moins de déplacements et, surtout, des déplacements différents.
Le premier semestre 2020, marqué par le COVID-19, restera sans doute dans les annales de l’histoire moderne. La crise générale a d’ores et déjà impacté la quasi-totalité des secteurs de l’économie ; le voyage d’affaires ne fait évidemment pas exception. Le confinement généralisé (plus de 4 milliards de personnes en avril) a débouché sur un ralentissement sans précédent — hors temps de guerre — de l’activité commerciale dans le monde. Cela a mis à risque toute entrée de liquidités pour des entreprises qui doivent néanmoins continuer de payer salaires et coûts fixes.
Par ailleurs, cette situation exceptionnelle tombe à une époque où l’on s’interroge sérieusement sur nos modes de consommation et notre responsabilité sociale et environnementale.
Baisse du volume de déplacements professionnels à horizon 2021
Malgré la résorption de la crise sanitaire en Europe — au moment où cet article est écrit — une reprise des voyages professionnels ne se fera que progressivement. Cela s’explique par deux facteurs majeurs :
La tension économique sur les coûts des entreprises et leur financement : L’année 2020 sera une année de récession économique et la reprise n’est pas attendue avant 2021. Les entreprises devront consentir à des efforts importants pour assurer leur pérennité économique, notamment en termes de réduction de coût. Ainsi, les employeurs chercheront à diminuer leur facture de voyage, notamment en éliminant les voyages considérés comme non essentiels. Le télétravail, imposé en période de confinement, a d’ailleurs accéléré l’adoption d’outils de téléconférence (e.g., Zoom), qui ont cependant montré quelques limites qui pourraient être problématiques dans un cadre commercial (problèmes techniques, failles de cybersécurité, …).
Instabilité sanitaire et réglementaire : Si la crise sanitaire semble moins effrayante que lors des premiers mois de la pandémie, il demeure une instabilité importante, à l’échelle régionale et mondiale. En effet, il est difficile de concevoir un retour à la libre circulation des personnes d’avant COVID-19, en l’état. Par conséquent, ces conditions seront mises à jour régulièrement et certaines restrictions devraient s’appliquer selon le pays de destination ou d’origine du voyageur. Cette volatilité, résultant des politiques de protection sanitaire des gouvernements, sera d’autant plus importante au second semestre 2020, où chaque pays aura ses propres recommandations et conditions de séjour, mises à jour de manière régulière.
Des voyages moins lointains
Nous anticipons, à court/moyen terme, une part plus importante de voyages domestiques et/ou court-courrier. En effet, une tendance à la relocalisation régionale devrait s’accélérer — pour deux raisons majeures : (1) les stratégies nationales/régionales de relance et (2) le retour d’un certain protectionnisme commercial :
Face à cette récession record, nous attendons des gouvernements qu'ils accélèrent leurs réformes en vue de la reprise économique dès 2020 en donnant la priorité à leur territoire et marché coeur. La relocalisation de l’économie est un sujet central de l’après-crise. Le choc sanitaire a mis à mal la souveraineté économie ou sanitaire de certains pays, même développés.
La tendance à un nouveau protectionnisme devrait également s’accentuer. . En effet, si les années 90 et 2000 ont marqué l’essor exceptionnel des échanges commerciaux entre différents continents, une tendance au protectionnisme commercial a été entamée et s’accélère depuis les années 2010 (e.g., “America First” menée par Donald Trump aux USA). Cela peut avoir un impact sur les déplacements des professionnels, dont les motifs sont essentiellement commerciaux.
Long-terme : un impact écologique plus important que l’impact économique
Des effets économiques à modérer sur le long-terme
L’industrie du voyage d’affaires a la peau dure. En effet, les crises précédentes ont montré que le marché est volatile mais sur une durée très limitée.
En effet, lors des 20 dernières années, le voyage d’affaires n’a connu que deux années sans croissance — résultant d’événements ponctuels (attentats de 2001, crise des subprimes). Ainsi, depuis l’an 2000, le marché mondial du voyage d’affaires performe mieux que la croissance mondiale — avec un délai de reprise exceptionnellement court par rapport à d’autres secteurs.
Aussi, l’usage d’outils de télécommunications (e.g., Zoom, LiveStorm) — en substitution du déplacement professionnel — semble peu réaliste sur le long terme. Le contact humain demeure encore très ancré dans nos relations sociales ; et, encore plus, commerciales. D’ailleurs, en pleine période de confinement et d’incertitude, plus de 80% de nos clients nous ont indiqué qu’ils allaient voyager au moins autant qu’avant la crise, une fois cette dernière passée. (voir les résultats ici).
En dehors de contraintes sanitaires fortes et permanentes, il nous semble ainsi peu probable que cette crise sanitaire créera une baisse de volume de voyage durable au sein des entreprises, bien obligées de collaborer avec l’étranger pour gagner des marchés et rester compétitives.
L’écologie, sujet majeur du voyage d’affaires de demain
La crise offre à de nombreux individus et entreprises la possibilité de réorganiser leurs activités et leur mode de vie de manière plus durable. Le changement de nos routines habituelles nous invite à nous interroger plus généralement sur nos modes de consommation et à faire des voyages d'affaires plus éco-responsables en limitant notre empreinte carbone.
"Nous avons une opportunité historique de reconstruire notre économie et notre société sur de nouvelles bases, de nous réinventer, d’investir dans un avenir décarboné. —Emmanuel Macron, Président de la République, 05/06/20
Le tourisme, dans sa globalité, représente près de 8% des émissions carbone totales dans le monde. La crise devrait catalyser la tendance vers des politiques de voyages plus responsables, comprenant la composante écologique :
covoiturage lorsque possible
priorisation des alternatives “propres” (e.g., interdiction de prendre l’avion sur un Paris — Marseille)
suivi des émissions carbones liées aux déplacements des collaborateurs
Nous anticipons que l’importance de ces considérations environnementales, pour les déplacements des collaborateurs, va progresser sur le long terme.
Des acteurs historiques qui vont devoir accélérer leur transformation
La crise actuelle est aussi l’occasion de remettre en question des modèles vieillissants et peu adaptés à la consommation actuelle du voyage d’affaires.
C’est un fait connu des voyageurs d’affaires et reconnu par les acteurs du marché : le voyage d’affaires est un marché poussiéreux, générateur de frustrations et manquant cruellement d’innovation. Les acteurs qui ont reconstruit le monde du voyage de loisir (e.g., Expedia, Booking.com, Kayak, …) ont eu une approche exclusivement B2C, créant ainsi un marché à deux vitesses. Le COVID-19 pourrait constituer l’opportunité dont avait besoin l’industrie pour enfin se réinventer.
Pénétration croissante des TMC (Travel Management Companies)
Dans un monde paraissant plus incertain qu’hier, il est nécessaire d’avoir le contrôle des déplacements de ses employés. Par exemple, avant la crise, près de 2/3 des PMEs n’avaient pas d’outil de gestion du voyage, laissant leurs employés réserver sur des plateformes publiques. Il fait peu de doute qu’un nombre important de ces entreprises évoluent vers du “managed-travel”, pour contrôler leur budget voyage et assurer la bonne sécurité de leurs employés voyageurs.
Essor du Do-it-Yourself et du self-booking
Le fait de forcer les gens à rester chez eux a été un excellent moyen d'accélérer l'adoption généralisée des outils numériques dans diverses applications (par exemple, la productivité, la télémédecine). Le confinement a largement popularisé le bricolage et cela aura très certainement un impact durable. Même si le libre-service avait déjà la faveur des jeunes générations, habituées aux plateformes de consommateurs qui ont remplacé leur support téléphonique par des chats/FAQ, le contact téléphonique restait le canal préféré de la plupart des voyageurs d'affaires. Les interactions en matière de gestion des voyages devenant moins fréquentes et plus asynchrones, nous nous attendons à une évolution vers une plus grande responsabilisation du voyageur d'affaires autonome. Il en résultera une meilleure adoption des SBT (outils d'autoréservation), une réduction des coûts et, surtout, la disparition progressive des agences de voyage traditionnelles au profit des outils de voyage d'entreprise modernes.
De la data à l’essor du tech-managed travel
La crise du COVID-19 a bouleversé la stabilité et l’inertie historique du marché du voyage d’affaires. En effet, la complexité inédite et les évolutions régulières des paramètres à prendre en compte (e.g., restrictions territoriales, nouvelles règles sanitaires d’une compagnie aérienne, contraintes écologies, …) font qu’il sera clé de maîtriser l’information, à chaque étape du voyage.
Ainsi, la volatilité des paramètres et contraintes en jeu font de la maîtrise de la Data un sujet majeur : en amont (pour orienter le voyageur), et en aval (pour monitorer son activité) de sa réservation. Par exemple, avoir la possibilité de réagir en temps réel pour interdire toute réservation de voyage dans telle destination, suite à un événement, pourrait constituer un des processus de Duty of Care préférentiels des entreprises.
La conséquence attendue de ces nouveaux besoins ? Un transfert de part de marché des acteurs traditionnels, peu réactifs et aux process manuels, à des acteurs plus technologiques utilisant les données en temps réel pour aider les entreprises à piloter leurs voyages dans cet environnement plus instable.
"The moments that matter might mean more digital than ever and in new places within the customer journey. Solutions and policies that provide choice and control will help to build the trust and confidence necessary to get travelers back on the road and in the air." —Make it better, not just safer: The opportunity to reinvent travel; McKinsey & Company, June 2020
Sensibilité accrue sur les prix et l’empreinte carbone
Comme mentionné plus haut, la crise a mis une pression très importante sur le budget coût et carbone des entreprises. La maîtrise de la Data deviendra clé pour assurer le meilleur contrôle / Duty of Care : monitoring en temps réel de l’activité des voyageurs; outils agiles pour pouvoir adapter les règles de déplacements à un contexte fluide et changeant; workflows automatisés pour soutenir ces processus de contrôle. Ainsi, les entreprises auront tendance à davantage prioriser la competitivité tarifaire, les suivis en temps réel de budget ou d’empreinte carbone des acteurs innovants vs. les opérations ponctuelles, manuelles et souvent coûteuses des agences traditionnelles.
En résumé, le marché du voyage d’affaires devrait progressivement se diriger vers un nouvel équilibre dont le volume total n’a pas de raison d’être fondamentalement éloigné des niveaux d’avant-crise, sur le long terme. La transformation profonde sera davantage dans sa nature, plus contrôlée, eco-responsable et continentale.
Ainsi, si l’intensité de la demande devrait retrouver son niveau d’avant-crise, l’offre devra néanmoins s’adapter aux nouveaux usages que cette crise aura stimulé de manière durable. Pour faire face à la potentielle instabilité réglementaire et sanitaire, mais aussi pour accélérer la transition vers un voyage plus vert, la gestion voyage d’affaires de demain sera plus automatisée et boostée par les flux de données.
La crise est le catalyseur dont ce secteur avait besoin pour se transformer et se libérer de son inertie historique et de son obsolescence. Les TMC traditionnels devront s'adapter rapidement pour accélérer leur transformation numérique, tandis que les nouvelles agences en ligne, plus agiles, profiteront certainement de cette dynamique pour se développer.